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Pensée verticale
30 septembre 2008

#4

La première fois qu'il l'avait vue, il ne l'avait pas trouvée franchement belle.


Aujourd'hui, il songeait avec un certain amusement que leur histoire avait commencé comme dans un célèbre roman d'Aragon. Il chercha d'autres points communs entre Bérénice et sa Gabrielle, mais il n'en trouva pas. Il s ne furent pas séparés l'un de l'autre toute leur vie, les prémices de la guerre ne vinrent pas constituer le triste théâtre d'une impossible idylle et heureusement, aucune balle perdue n'était venue définitivement les séparer.


La comparaison était mauvaise, en réalité; il n'avait jamais rien compris au personnage d'Aurélien et sa culture littéraire était de toute façon insuffisante pour identifier Gabrielle à une autre grande héroïne de roman. Cela ne l'empêchait pas de se délecter du coté parfaitement romantique de leur rencontre. C'était du moins ce qu'il ressentait alors qu'elle s'endormait doucement dans ses bras, pour la première fois. Chaude et nue.


Cela s'était passé de façon assez simple même si leurs rendez-vous furent ensuite passablement compliqués. Gabrielle était mariée, c'était même sa caractéristique première et jamais il ne fût question d'y changer quoique ce soit. Ils durent donc endurer les contorsions exigées par la clandestinité, sans honte particulière, ni plaisir pervers.


Par un sombre et glacial matin de janvier, alors que la neige tombait depuis une nuit entière, il l'avait vue pour la première fois déboucher de la petite route qui venait du hameau voisin. Elle demeurait là , dans une impressionnante et triste maison de famille plantée au cœur d'une Auvergne rude et laborieuse, avec son mari et un fils, très bien protégée par une énorme bâtisse bourgeoise de granit froid et indestructible, construite autrefois pour poser et imposer le riche éleveur au centre de ses maquignons.


Le jour n'était pas encore levé quand il avait aperçu, emmitouflée dans plusieurs épaisseurs de vêtements épais , la carrure imposante de Gabrielle qui traçait avec effort un profond sillon dans la neige fraîche. Elle venait visiblement de parcourir les cinq kilomètres qui les séparaient de son hameau à pieds, en plein vent et de nuit. A la vue de l'uniforme, elle offrit au gendarme des joues rosées par le froid accompagné d'un large sourire puis s'en alla vers son objectif quotidien, la boulangerie du village.

Quelques instants plus tard, elle prenait sans faillir le chemin du retour. Il ne put s'empêcher de la féliciter pour sa performance matinale ce qui la fit rire et lui fît rougir les joues encore un peu plus. Sa large silhouette chaloupée s'enfonça alors tranquillement dans la neige cotonneuse, mais cette fois avec un plein sacs de pains brûlants dans le dos.


Arnaud, son adjudant-chef, la rappela à la réalité de son devoir. Le gros Maurice faisait déjà de l'esclandre dans le bar du gros bourg d'à coté et le patron commençait à perdre ses nerfs... Il pensa que Maurice était bien matinal et que peut-être, la neige l'avait mis en joie ce matin. Ils s'engouffrèrent dans la voiture bleue foncée et s'en allèrent raisonner le trop connu Maurice Dulong, ivrogne local un peu têtu mais pas bien méchant, tout en faisant glisser joyeusement la 4L dans les virages.


Gabrielle Grandemange était une femme notable, c'est à dire qu'est comptait ; sur son mari principalement. Jouissant du statut fort respecté d'épouse du vétérinaire, dans cette région des monts du Cézallier où l'élevage n'avait pas encore été supplanté par le tourisme, ce n'était pas rien. D'ailleurs, si son mari se tuait littéralement à la tache, sa clientèle ferait de lui assurément un maire tout désigné, lorsque l'édile du moment viendrait à rendre l'âme. Cette perspective enchantait Madame qui bien qu'issue de la terre comme tout le monde dans le pays, n'avait aucune affinité particulière avec l'élevage des bovins. Elle avait ce vice détesté dans sa campagne de préférer les hommes aux animaux.


Toutefois, dans l'attente de son futur statut de première dame du village, il fallait bien s'occuper un peu.


Elle avait d'abord annoncé un beau matin à son futur élu, sur le ton péremptoire de l'information qui n'appelle pas de contestation, qu'elle aménageait leur demeure par trop bourgeoise, triste et silencieuse en maison d'hôte confortable et luxueuse. Son mari, fourbu ce soir là comme tous les autres, lui renvoya un laconique "pourquoi pas..." qui lui convenait parfaitement.


Madame Grandemange était ainsi devenue "Gaby", hôtesse d'accueil pour couples en goguettes, familles de vacanciers en villégiatures hivernales et autres intégristes de la randonnée sportive. Soudainement très cultivée en matière d'ameublement intérieur, elle était devenue une assidue des antiquaires et brocanteurs locaux ainsi que des stages "enduits traditionnels et décoration murale" dans les supermarchés de  bricolage de la région. L'argent ne manquait pas, la maison devînt vite au moins aussi charmante que la logeuse. On faisait des éloges de l'une comme de l'autre dans les meilleurs guides touristiques nationaux, même si cela devait se faire au prix de quelques efforts, comme celui d'aller au village chaque matin, par tous les temps, quoiqu'il arrive, afin de pouvoir constituer un roboratif petit déjeuner, tout à fait traditionnel cela va de soi, à des hôtes ravis de profiter des plaisirs de la bonne chaire auvergnate.

Le capitaine Morin pris donc l'habitude de fréquenter de façon très matinale la boulangerie du village. Cette femme l'intriguait. Il lui paressait qu'elle était comme incongrue, refusant maladroitement le monde d'où elle venait, mais ne maîtrisant aucun autre codes. Elle était souvent habillée bizarrement, cherchant une mode dont tout le monde se moquait ici et qui aurait bien amusé une jeune fille des villes. Elle achetait plusieurs journaux ce qui était original ici.


Et puis elle parlait. Vraiment beaucoup. Elle recevait des étrangers, avaient maintes histoires exotiques à raconter au café-tabac-journaux proche de la boulangerie ce qui provoquaient le plus souvent des moues dubitatives de la part des hommes présents. Elle jouait un rôle qui intéressait peu les autres et parfois même qui lui valait quelques ragots.


Le capitaine Morin et Mr Grandemange se fréquentait beaucoup. Leur profonde connaissance du pays leur donnait des sujets de conversations inépuisables et surtout, ils étaient tous les deux pêcheurs. Il ne leur arrivait jamais de parcourir les rivières de premières catégories ensemble, car la pêche à la truite exige la conservation jalouse de nombreux petits secrets, mais les retours de campagne étaient volubiles et souvent arrosés ! Que l'un des deux ne reviennent pas bredouille, et alors le village vivait un évènement important. Leur amitié était devenue toute particulière lorsque Morin avait passé un coup de fil à un copain journaliste parce que son partenaire et rival avait pris un jeune saumon. Et, comme on dit, la photo était "passée"...


Gabrielle avait été particulièrement reconnaissante au capitaine de cette intervention. Elle aimait ce qui valorisait son mari. Cela avait valu au capitaine de gendarmerie de charmants battements de cils et des remerciements excessivement chaleureux. Alors que Morin nageait dans sa fierté béate, lui, fut surpris et gêné par tant de gratitude qui lui valu une magnifique tarte aux abricots, dont il ne su que faire.


La capitaine vivait seul, dans une petite maison en pierre au fond d'un chemin de terre, au milieu des fermes et des bois, à quelques traits du village. Il retapait tranquillement la bâtisse, activité qu'il trouvait beaucoup plus saine que la vie en caserne, nauséabonde de promiscuité et de mesquinerie.


Il n'en fallu pas beaucoup pour les réunir. L'institutrice fut la responsable involontaire du rapprochement ... Les cours d'anglais qu'elle dispensait le samedi après-midi furent le prétexte. Le capitaine riait de l'exubérante faiblesse de Gabrielle dans cette langue étrangère et elle été attentive aux efforts maladroits de l'homme de pouvoir qui semblait tout d'un coup bien hésitant. A la fin du cours, ils faisaient un bout de chemin ensemble, en discutant gentiment des évènements du village. Le gendarme impressionnait sa compagne par les affaires de la brigade et Gabrielle tentait d'assumer avec la vie de sa maison d'hôte.

Mais les hivers étaient bien longs et  le mois de janvier s'écoulait trop lentement, quand les voyageurs ne se décidaient pas à se perdre jusque chez Mme Grandemange. Les bovins rendus faible par l'hivernage forcé dans les étables occupait trop son mari qui rentrait souvent tard dans la nuit.


Gabrielle attendait.


Allongée dans son grand canapé de cuir, toujours coiffée, maquillée et prête à assurer son devoir d'hôtesse charmante et agréable, elle passait ses soirées à occuper son ennui devant la télévision du salon, à rêver devant des films américains qui lui susurraient que d'autre vies formidables se déroulaient ailleurs. Son garçon venait parfois passer un moment avec elle, mais elle sentait bien qu'il s'y sentait simplement obligée.


Il refusa plusieurs fois ses invitations et puis un soir, la neige tombée en abondance donna à Gabrielle un prétexte pour insister lourdement pour qu'il la suive chez elle. Il eu droit à un café brûlant et malgré son refus elle se lançant dans la confection de biscuit dont il fut bien obligé d'attendre l'arrivée. Gabrielle bavarde plus qu'à l'accoutumé se lançant dans le récit grandiloquent de sa propre vie.

Il n'écoutait pas grand chose. Il la voyait surtout, lascivement assise dans le fond du canapé, les pieds déchaussés ramenés sous elle. Elle était charmante de légèreté et de sincérité mais ce naturel avait eu pour conséquence de retrousser une jupe légèrement au dessus du genou, laissant batifoler devant les yeux obligatoirement désintéressés du capitaine, deux jambes habillées de nylon noir qui l'étonnait beaucoup. Un épais pull rouge dessinait une jolie taille bien marquée et surtout une poitrine absolument formidable d'opulence et de régularité.

Cette fois là, il réussi à s'échapper avec des gâteaux tièdes pleins les poches mais il ne pu esquiver deux bisous fort appuyés qui le laissèrent désarmés.


Une semaine passa, la neige avait fondu. Il n'eurent toutefois plus besoin d'elle pour se retrouver. Il réussi encore à s'échapper, mais cette fois fort tard.


La troisième fois, Gabrielle se fît inviter chez lui.

Il eu à peine le temps de raviver le feu qu'elle lui tomba dans les bras. Ils firent l'amour tendrement et une nouvelle vie commença.


 

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