#4
La première fois qu'il l'avait vue, il ne l'avait
pas trouvée franchement belle.
Aujourd'hui, il songeait avec un certain amusement que leur histoire avait
commencé comme dans un célèbre roman d'Aragon. Il chercha d'autres points
communs entre Bérénice et sa Gabrielle, mais il n'en trouva pas. Il s ne furent
pas séparés l'un de l'autre toute leur vie, les prémices de la guerre ne
vinrent pas constituer le triste théâtre d'une impossible idylle et
heureusement, aucune balle perdue n'était venue définitivement les séparer.
La comparaison était mauvaise, en réalité; il n'avait jamais rien compris au
personnage d'Aurélien et sa culture littéraire était de toute façon
insuffisante pour identifier Gabrielle à une autre grande héroïne de roman.
Cela ne l'empêchait pas de se délecter du coté parfaitement romantique de leur
rencontre. C'était du moins ce qu'il ressentait alors qu'elle s'endormait
doucement dans ses bras, pour la première fois. Chaude et nue.
Cela s'était passé de façon assez simple même si leurs rendez-vous furent
ensuite passablement compliqués. Gabrielle était mariée, c'était même sa
caractéristique première et jamais il ne fût question d'y changer quoique ce
soit. Ils durent donc endurer les contorsions exigées par la clandestinité,
sans honte particulière, ni plaisir pervers.
Par un sombre et glacial matin de janvier, alors que la neige tombait depuis
une nuit entière, il l'avait vue pour la première fois déboucher de la petite
route qui venait du hameau voisin. Elle demeurait là , dans une impressionnante
et triste maison de famille plantée au cœur d'une Auvergne rude et laborieuse,
avec son mari et un fils, très bien protégée par une énorme bâtisse bourgeoise
de granit froid et indestructible, construite autrefois pour poser et imposer
le riche éleveur au centre de ses maquignons.
Le jour n'était pas encore levé quand il avait aperçu, emmitouflée dans
plusieurs épaisseurs de vêtements épais , la carrure imposante de Gabrielle qui
traçait avec effort un profond sillon dans la neige fraîche. Elle venait
visiblement de parcourir les cinq kilomètres qui les séparaient de son hameau à
pieds, en plein vent et de nuit. A la vue de l'uniforme, elle offrit au
gendarme des joues rosées par le froid accompagné d'un large sourire puis s'en
alla vers son objectif quotidien, la boulangerie du village.
Quelques instants plus tard, elle prenait sans
faillir le chemin du retour. Il ne put s'empêcher de la féliciter pour sa
performance matinale ce qui la fit rire et lui fît rougir les joues encore un
peu plus. Sa large silhouette chaloupée s'enfonça alors tranquillement dans la
neige cotonneuse, mais cette fois avec un plein sacs de pains brûlants dans le
dos.
Arnaud, son adjudant-chef, la rappela à la réalité de son devoir. Le gros
Maurice faisait déjà de l'esclandre dans le bar du gros bourg d'à coté et le
patron commençait à perdre ses nerfs... Il pensa que Maurice était bien matinal
et que peut-être, la neige l'avait mis en joie ce matin. Ils s'engouffrèrent
dans la voiture bleue foncée et s'en allèrent raisonner le trop connu Maurice
Dulong, ivrogne local un peu têtu mais pas bien méchant, tout en faisant
glisser joyeusement la 4L dans les virages.
Gabrielle Grandemange était une femme notable, c'est à dire qu'est comptait ;
sur son mari principalement. Jouissant du statut fort respecté d'épouse du
vétérinaire, dans cette région des monts du Cézallier où l'élevage n'avait pas
encore été supplanté par le tourisme, ce n'était pas rien. D'ailleurs, si son
mari se tuait littéralement à la tache, sa clientèle ferait de lui assurément
un maire tout désigné, lorsque l'édile du moment viendrait à rendre l'âme.
Cette perspective enchantait Madame qui bien qu'issue de la terre comme tout le
monde dans le pays, n'avait aucune affinité particulière avec l'élevage des
bovins. Elle avait ce vice détesté dans sa campagne de préférer les hommes aux
animaux.
Toutefois, dans l'attente de son futur statut de première dame du village, il
fallait bien s'occuper un peu.
Elle avait d'abord annoncé un beau matin à son futur élu, sur le ton
péremptoire de l'information qui n'appelle pas de contestation, qu'elle aménageait
leur demeure par trop bourgeoise, triste et silencieuse en maison d'hôte
confortable et luxueuse. Son mari, fourbu ce soir là comme tous les autres, lui
renvoya un laconique "pourquoi pas..." qui lui convenait
parfaitement.
Madame Grandemange était ainsi devenue "Gaby", hôtesse d'accueil pour
couples en goguettes, familles de vacanciers en villégiatures hivernales et
autres intégristes de la randonnée sportive. Soudainement très cultivée en
matière d'ameublement intérieur, elle était devenue une assidue des antiquaires
et brocanteurs locaux ainsi que des stages "enduits traditionnels et
décoration murale" dans les supermarchés de bricolage de la région.
L'argent ne manquait pas, la maison devînt vite au moins aussi charmante que la
logeuse. On faisait des éloges de l'une comme de l'autre dans les meilleurs
guides touristiques nationaux, même si cela devait se faire au prix de quelques
efforts, comme celui d'aller au village chaque matin, par tous les temps,
quoiqu'il arrive, afin de pouvoir constituer un roboratif petit déjeuner, tout
à fait traditionnel cela va de soi, à des hôtes ravis de profiter des plaisirs
de la bonne chaire auvergnate.
Le capitaine Morin pris donc l'habitude de fréquenter de façon très matinale la
boulangerie du village. Cette femme l'intriguait. Il lui paressait qu'elle
était comme incongrue, refusant maladroitement le monde d'où elle venait, mais
ne maîtrisant aucun autre codes. Elle était souvent habillée bizarrement,
cherchant une mode dont tout le monde se moquait ici et qui aurait bien amusé
une jeune fille des villes. Elle achetait plusieurs journaux ce qui était
original ici.
Et puis elle parlait. Vraiment beaucoup. Elle recevait des étrangers, avaient
maintes histoires exotiques à raconter au café-tabac-journaux proche de la
boulangerie ce qui provoquaient le plus souvent des moues dubitatives de la
part des hommes présents. Elle jouait un rôle qui intéressait peu les autres et
parfois même qui lui valait quelques ragots.
Le capitaine Morin et Mr Grandemange se fréquentait beaucoup. Leur profonde
connaissance du pays leur donnait des sujets de conversations inépuisables et
surtout, ils étaient tous les deux pêcheurs. Il ne leur arrivait jamais de
parcourir les rivières de premières catégories ensemble, car la pêche à la
truite exige la conservation jalouse de nombreux petits secrets, mais les
retours de campagne étaient volubiles et souvent arrosés ! Que l'un des deux ne
reviennent pas bredouille, et alors le village vivait un évènement important.
Leur amitié était devenue toute particulière lorsque Morin avait passé un coup
de fil à un copain journaliste parce que son partenaire et rival avait pris un
jeune saumon. Et, comme on dit, la photo était "passée"...
Gabrielle avait été particulièrement reconnaissante au capitaine de cette
intervention. Elle aimait ce qui valorisait son mari. Cela avait valu au
capitaine de gendarmerie de charmants battements de cils et des remerciements
excessivement chaleureux. Alors que Morin nageait dans sa fierté béate, lui,
fut surpris et gêné par tant de gratitude qui lui valu une magnifique tarte aux
abricots, dont il ne su que faire.
La capitaine vivait seul, dans une petite maison en pierre au fond d'un chemin
de terre, au milieu des fermes et des bois, à quelques traits du village. Il
retapait tranquillement la bâtisse, activité qu'il trouvait beaucoup plus saine
que la vie en caserne, nauséabonde de promiscuité et de mesquinerie.
Il n'en fallu pas beaucoup pour les réunir. L'institutrice fut la responsable
involontaire du rapprochement ... Les cours d'anglais qu'elle dispensait le
samedi après-midi furent le prétexte. Le capitaine riait de l'exubérante
faiblesse de Gabrielle dans cette langue étrangère et elle été attentive aux
efforts maladroits de l'homme de pouvoir qui semblait tout d'un coup bien
hésitant. A la fin du cours, ils faisaient un bout de chemin ensemble, en
discutant gentiment des évènements du village. Le gendarme impressionnait sa
compagne par les affaires de la brigade et Gabrielle tentait d'assumer avec la
vie de sa maison d'hôte.
Mais les hivers étaient bien longs et le mois de janvier s'écoulait trop
lentement, quand les voyageurs ne se décidaient pas à se perdre jusque chez Mme
Grandemange. Les bovins rendus faible par l'hivernage forcé dans les étables
occupait trop son mari qui rentrait souvent tard dans la nuit.
Gabrielle attendait.
Allongée dans son grand canapé de cuir, toujours coiffée, maquillée et prête à
assurer son devoir d'hôtesse charmante et agréable, elle passait ses soirées à
occuper son ennui devant la télévision du salon, à rêver devant des films
américains qui lui susurraient que d'autre vies formidables se déroulaient
ailleurs. Son garçon venait parfois passer un moment avec elle, mais elle
sentait bien qu'il s'y sentait simplement obligée.
Il refusa plusieurs fois ses invitations et puis un soir, la neige tombée en abondance
donna à Gabrielle un prétexte pour insister lourdement pour qu'il la suive chez
elle. Il eu droit à un café brûlant et malgré son refus elle se lançant dans la
confection de biscuit dont il fut bien obligé d'attendre l'arrivée. Gabrielle
bavarde plus qu'à l'accoutumé se lançant dans le récit grandiloquent de sa
propre vie.
Il n'écoutait pas grand chose. Il la voyait surtout, lascivement assise dans le
fond du canapé, les pieds déchaussés ramenés sous elle. Elle était charmante de
légèreté et de sincérité mais ce naturel avait eu pour conséquence de
retrousser une jupe légèrement au dessus du genou, laissant batifoler devant
les yeux obligatoirement désintéressés du capitaine, deux jambes habillées de
nylon noir qui l'étonnait beaucoup. Un épais pull rouge dessinait une jolie
taille bien marquée et surtout une poitrine absolument formidable d'opulence et
de régularité.
Cette fois là, il réussi à s'échapper avec des gâteaux tièdes pleins les poches
mais il ne pu esquiver deux bisous fort appuyés qui le laissèrent désarmés.
Une semaine passa, la neige avait fondu. Il n'eurent toutefois plus besoin
d'elle pour se retrouver. Il réussi encore à s'échapper, mais cette fois fort
tard.
La troisième fois, Gabrielle se fît inviter chez lui.
Il eu à peine le temps de raviver le feu qu'elle lui
tomba dans les bras. Ils firent l'amour tendrement et une nouvelle vie
commença.