Tintin au Congo
Faut - il interdire Tintin au Congo ?
Selon la commission britannique pour l'égalité raciale, ce premier album est
indéfendable. Il aura suffit d'une seule plainte auprès de cette commission
pour qu'elle le juge raciste, et qu'une importance chaîne de librairie anglaise
le relègue dans la partie adultes. Tintin et Mannara, même combat...
Les Anglais n'en étaient pas, d'ailleurs, à leur coup d'essai: une société de
protection de l'animal avait déjà vertement critiqué ce même album, à propos de
l'épisode lors duquel Tintin fait littéralement exploser un rhinocéros un peu
coriace...
Ridicule.
En premier lieu, Hergé avait de son vivant largement répondu aux
critiques bien légitimes concernant ce premier album, qu'il considérait avec un
certain amusement comme un péché de jeunesse. Il reconnaissait sans difficulté
aucune qu'il ignorait tout du Congo, qui, lorsque paraît l'album (1930), est en
voie de colonisation par la Belgique; que la vision qu'il en donne, est celle
dans laquelle il baignait à l'époque, celle en fait de la petite bourgeoisie
bruxelloise, typiquement celle qu'il ridiculisera avec le personnage tordant de
Séraphin Lampion.
C'est ignorer ensuite que Hergé, dès le "Lotus bleu", va adopter un
regard très critique à l'égard de toute forme de colonisation, celle des
Japonais en l'occurrence. Le meilleur exemple sera donné plus tard par le très
moderne et documenté "Coke en Stock" qui aborde la question de
l'esclavage des noirs par les Arabes en mer rouge. L'influence de grands romans
d'aventures à la Kessel ou H. de Monfreid est alors bien visible.
Mais surtout, accuser de racisme la littérature de Hergé, c'est surtout, ne
l'avoir pas lue et pas comprise.
En premier lieu, toute son oeuvre est traversée par
un manichéisme fort qui mérite qu'on s'y arrête un instant.
On peut rappeler effectivement que Milou ou encore
le capitaine Haddock sont régulièrement confrontés à leur conscience, que le
dessinateur personnifie naïvement par un diablotin et un ange, lesquels placent
les héros devant un choix moral difficile ... Par exemple, Haddock hésite
toujours entre une petite gorgée du Whisky supplémentaire, ou continuer sa
"mission". Idem pour Milou et ce bien bel os, décidément.
Tous les personnages importants de Hergé sont ainsi placés devant le dilemme du
bien et du mal, devant le choix d'assumer leur rôle ou de se laisser aller à
des penchants aux conséquences catastrophiques.
Cette dichotomie entre le bien et le mal est déjà très présente dans
"Tintin au Congo" comme dans les albums futurs. Le rôle de Tintin,
face aux luttes intérieurs des personnages est de lutter contre les malfaisants
de tout poils, contre le mal et de rappeler le bien.
Mais, il se trouve que le premier homme mauvais qu'il rencontre dans cet album
est blanc ... (le passager clandestin). Déjà, tout fonctionne par paire: Tintin
se sert d'un gentil guide noir, le passager clandestin lui s'allie un sorcier
crapule.
Autrement dit, dans chaque race, se révèle le mal. Ce qui constitue la stricte
négation du racisme.
Dès lors, le mal, ce n'est pas l'autre en tant que groupe, mais une
possibilité, un risque, en chacun de nous, confrontés que nous sommes en
permanence à des choix moraux difficiles à assumer. Ceci étant cristallisé par
le personnage du capitaine Haddock, en proie à de véritables combats moraux
intérieurs, qu'il extériorise par des formidables colères.
Le thème de la pureté en outre, voire de la virginité, traverse toute l’œuvre
de Hergé ... Comme pôle de référence et éventuellement d'attraction.
Bianca CastaFiore signifie par exemple "Blanche chaste fleur"... Tout
un programme ! A priori, elle se rapproche de Tintin en terme de pureté ...
Jusqu'aux bijoux de la Castafiore (symbole de virginité en psychanalyse), tout
en ambiguïté. Car effectivement, tous, sauf Tintin pur et chaste, sont
confrontés au mal et à la tentation.
Noirs, blancs, jaunes, rouges ... Tous égaux face au mal.
Hergé, c'est la négation même du racisme. Le mal n'est pas le groupe mais dans
l'individu.
Considérer qu'il y a une supériorité d'un homme blanc par rapport à un
quelconque autre groupe humain, chez Hergé, c'est ne rien avoir compris au
sujet "Tintin", qui est supérieur par principe, à tous les autres
personnages, et en premier lieu au capitaine Haddock à qui il fait la morale...
Si Tintin ne faisait la morale qu'aux Noirs, cela n'aurait aucun intérêt. Tout
l'enjeu, est que la morale, il la fait valoir à tous les personnages qu'il
rencontre !
Bien sur, Tintin au Congo est truffé de préjugés et
surtout d'ignorance. La belle affaire ! Il sera pour cela toujours lu avec joie
au Zaïre, tant il donne une image bête de l'homme blanc...
L'album a pris il est vrai un sérieux coup de vieux.
Pourquoi dès lors le rajeunir, par un débat oiseux ? Laissons le tranquillement
prendre la poussière dans nos bibliothèques, avec le Livre de la Jungle et
autres oeuvres d'un début de siècle non pas raciste, mais simplement ignorant.
Ps: photo très intéressante provenant de wikipédia, du tacot de Tintin dans
l'album. Artisanat local de Kinshassa.