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Pensée verticale
12 décembre 2007

Croyez-moi !

Il y a de cela quelque temps, je posais la question de savoir pourquoi nous avons crée, tous autant que nous sommes, un blog. J'avais eu quelques réponses au passage, mais, de prime abord, la raison ne m'apparaissait pas clairement.

Et puis, j'ai trouvé.

C'est arrivé alors que j'étais lascivement étendu sur mon canapé rouge vif, m'apprêtant un faire un sort à un petit pot de crème au chocolat extra noir la Laitière, tout en offrant une oreille curieuse à l'émission de Frédéric Taddei, laquelle ne doit pas être si mauvaise que ça, sachant que je ne la regarde jamais volontairement et que lorsque je tombe dessus par hasard, il se trouve bien souvent que je me laisse capter par la discussion à bâton rompue qui s'y déroule ainsi que par la qualité des intervenants qui viennent s'exprimer, lesquels, ce soir là, abordaient la question assez complexe du regain de religion ou du religieux qui marquerait notre monde actuel.

(Oui, toi aussi, sur ton blog essaie de faire des phrases longues).

C'est alors, donc, que l'idée m'est apparue tel le Saint Esprit à la Vierge Marie: nous bloguons par "besoin de religiosité". 

Yeaah, dans ta face !

Qu'est ce que je raconte ? Ne vous inquiétez, brebis égarées que vous êtes prenez un missel et asseyez vous donc sur un banc afin de bien écouter. 

L'expression en premier lieu, n'est pas de moi, je le confesse humblement mon Dieu, mais constitue la propriété très revendiquée d'un certain Michel Maffesoli, sociologue bien connu de son état, souvent présent sur les plateaux de télévision ces derniers temps et parfaitement reconnaissable à ses systématiques nœuds papillons et costumes bleus qu'il exhibe tels des signes de reconnaissance tribale, mais dont le plus intéressant reste encore sa plume qui a récemment œuvré pour nous offrir cet intéressant essai intitulé Le réenchantement du Monde, lequel se place, tous ceux qui ont fait des études inutiles l'auront noté, dans la perspective des thèses de Marcel Gauchet.

(Oui je sais, c'est chiant les phrases longues. Mais, ça m'amuse...). 

Alors, certes l'affirmation peut paraître un peu abusive, et même choquante pour les rares athées ou laïcs de service public qui auraient échoué jusque dans mon temple. Quel lien y aurait-il entre les blogs et le besoin de religiosité, autrement dit le besoin de croire, qui selon l'analyste, caractérise notre monde actuel et futur ?

Examinons donc, mes très chers fidèles, la proposition qui nous est ainsi délivrée.    

En premier lieu, il faut toujours commencer par là, l'étymologie. Le terme religion émane du mot latin "religare", et signifie "lier". La religion est ce qui relie la terre au ciel, l'homme à Dieu (c'est du moins une origine possible; en fait, il y a débat sur le sens lointain de mot religion). Dès lors, il est déjà plus aisé de comprendre où l'on veut en venir: les blogs contribuent eux aussi à créer, fabriquer, renforcer du lien (social).

Alors, il ne faudrait pas trop pousser l'analogie entre les blogs et la religion, sous peine d'un ridicule intellectuel qui n'aura d'égal que son absence d'intelligence. Car, nous ne voulons pas parler de religion au sens strict, mais bien de besoin de religiosité comme l'énonce le sociologue, besoin qui certes est au cœur du phénomène religieux mais expurgé toutefois de ses aspects politique, institutionnel et disons stratégique. Reste donc les croyances et le dogme... Or, si l'on se limite à la question de la croyance, il se passe sur les blogs des choses qui révèlent les plus grandes similitudes avec ce que l'on appelle le besoin de croire.

Examinons la chose, chers disciples ébaudis, s'il vous plaît.    
Page 3 pour le chant.

1 )

C'est un peu une tarte à crème pour milieux autorisés à penser, mais il se dit que le fait religieux connaît un regain partout. Malraux ne s'était pas gouré. Effectivement, force est de constater que les religions vont bien. Ainsi, en France, au sein de la très catholique fille aînée de l'Eglise, des pratiques nouvelles se développent comme le bouddhisme qui selon des études récentes aurait dépassé, en terme de volume de pratiquants, la communauté protestante, traditionnellement présente dans le pays. Dans nos cités moroses mais néanmoins dynamiques, l'Islam attire de nombreux d'jeuns, au plus grand étonnement de leur parents très oublieux, comme toute leur génération, de la pratique religieuse. Les conflits et les violences, locaux ou internationaux, se drapent dans des légitimités religieuses sans nécessairement d'ailleurs que la religion soit cause ou ferment de ces affrontements.

Plus globalement encore, et là c'est le sociologue qui le dit, les croyances communautaires et plus encore les comportements que l'on va qualifier de tribaux marquent de plus en plus notre société occidentale post-moderne.

Le monde a besoin de croire et les curés jubilent: les affaires reprennent ! Voici bien la preuve de ce que personne n'a voulu entendre jusqu'ici et qu'ils désespéraient de faire comprendre: le XXème siècle n'aura été qu'une parenthèse matérialiste. Ils vont peut être un peu vite en réjouissance car il ne faudrait pas confondre, dans l'euphorie du réenchantement, le besoin de croire et le besoin d'Eglise.  On se marie toujours beaucoup et les Eglises sont toujours aussi vides.

Prenons un exemple (que je cite de mémoire, à partir de l'émission de Taddéi): une étude sociologique a été menée sur les comportements, les motivations et les déclarations de jeunes participants aux journées mondiales de la jeunesse (les fameuses JMJ, grand cirque catholique destiné à prouver et célébrer la vivacité de la foi chrétienne dans le monde entier). Il est apparu par exemple, que les jeunes qui venaient écouter le pape, Benoît XVI, mémorisaient très mal les discours de celui-ci, parce qu'ils recherchent non pas un discours mais bien, et le terme est d'une logique implacable, une communion sociale et de croyance. Ce qui est recherché c'est la fusion communautaire et identitaire. Et de nous montrer l'interview d'une jeune fille exaltée, trouvant simplement que la figure du pape est "belle".

Autrement dit, à Benoît XVI, les jeunes ne lui demande pas de parler. Mais simplement de constituer un emblème, et aussi pour reprendre ce mot bien pratique de l'anthropologue, un totem de la société catholique romaine. Il y a moins au JMJ une société catholique qui discute qu'une tribu qui fait la fête.    

2 )

Ensuite, si le fait religieux semble en regain, le sociologue lui veut voir là l'indice surtout d'un essor des comportements tribaux dans leur ensemble. On se met à voir du tribal absolument partout, et même les slogans publicitaires s'en délectent. Les opérateurs de téléphonie mobile ont cette fonction de faire en sorte que nous puissions garde le contact avec notre tribu. Et justement des tribus, il s’en présente partout: dans le militantisme politique, dans le succès de facebook et MySpace, dans les « after » des boîtes de nuit techno, dans le petit tatouage "Etnik" que l'on se fait tous et toutes au bas des reins et aussi, bien sûr, dans l'usage immodéré qui est fait des avantages obtenus par la promotion de la "culture d'entreprise" au sein des entreprises.

Le besoin du groupe, de rester en relation, d'être connecté à l'autre par son mobile ou MSN se rencontrent dans les concerts rock de Led Zeppelin, les triomphes électoraux à la Concorde, l'encouragement fou d'une équipe de foot ou de formule 1 et la motivation qui fait que chaque matin nous partons travailler, c'est à dire rejoindre le groupe de nos collègues.

Exemple caricaturaux et presque classique, l'appartenance au Front National ou au Cop Boulogne du PSG fonctionnent d'abord comme des substituts de liens familiaux et tribaux; et cas extrême, le "gang" à l'américaine se présente comme une famille de substitution. D'abord parce que les familles originelles ont failli et avec elles les rites, les signes de reconnaissances, les fêtes et parfois, dans les cas les plus aboutis, leurs Histoires.

Dans la société post-moderne hyper-individualiste, le désir de lien, le réflexe tribal (et vital) et le besoin de croire (en soi, en l'entreprise, en son conjoint, et puis en l'autre et finalement en Dieu) deviennent de plus en plus flagrant.

Ainsi, dans une société libérale, la liberté vécue n'a plus à être recherchée et revendiquée, remplacée qu'elle est par le phantasme, le désir, la pulsion de lien, de groupe et de corps. Si la société monarchique a induit la philosophie libérale des Lumières, la société libérale risque, elle, de refonder l'obscurantisme. Par simple mouvement de balancier.

Certes pour un homme d'Eglise convaincu, il n'y a pas retour du religieux mais simplement réapparition du besoin de croire, dénudé des folies matérialistes du XXème siècle, un besoin de croire qui s'exprime selon les temps historiques en fonction de ce que la société est capable d'offrir comme sentiment d'appartenance et de croyance en cette appartenance.

3 )

Dans ce contexte de profusion du tribalisme, dans une société où le haka néo-zélandais a fait fondre sur leur canapé (rouge vif ?) toutes les occidentales solitaires et déprimées, les blogs vont plutôt pas mal dans le paysage...

Réfléchissons donc ensemble, mes amis et lecteurs, à ce que nous faisons là, sur nos blogs, tant aimés, désirés et aussi tant haïs parfois...

A priori, voilà que nous venons pour échanger nos recettes de cuisine ou discuter de nos maris qui s'occupent trop bien des enfants mais qui décidément sont trop immatures pour les vraies femmes que nous sommes; ou alors nous retrouvons nos potes de la 3ème verte pour pouvoir baver grave sur les seins de Mélissa de la 4ème orange ou sur cette pute de prof' de latin; d'autres encore, étudiantes paumées dans les couloirs de la fac de Tolbiac ou de Nanterre cherchent une bande de copines pour s'encanailler du coté de Bastoche, Oberkampf ou Saint Germain; et puis des philosophes et des prêcheurs en herbe de leur coté sont à la recherche d'un auditoire qui soient à la hauteur de leurs discours et c'est pas gagné; les poètes eux aimeraient être adorés ou maudits par quelqu'un; les jeunes loups qui vont habillés en pingouin bosser chez PricehouseandCoopers ont eux besoin des blogs pour ne pas souffrir la honte de se faire une fiche sur Meetic; les femmes mariées et dépassées par l'ingratitude de leur progéniture cherchent elles, toute honte bue, un amant pour jouir un peu parce que ça fait longtemps mine de rien; les dessinateurs sur la blogosphère BD cherchent des lecteurs ravis et des éditeurs motivés; et beaucoup aimerait bien trouver aussi ... des clients.

Donc quoi ? Autant de blogs que de vies différentes, mais une seule et même motivation: chercher l'Autre, celui dont on a envie, celui qu'on a envie d'aimer et celui en qui on a envie ... de croire.

Doucement, oui, on y vient ... Vous pouvez vous rasseoir.

Alors oui, en créant notre blog, nous avons tous eu la volonté de créer notre "oumma", c'est à dire notre communauté de croyants, notre petite tribu perso à nous qu'on va pouvoir chérir autant que possible. Un blog est une chapelle, un autel, un totem ... un point de ralliement au milieu d'un village médiatique vide.    
Une autre famille.

Cette volonté de récréation sociale a aussi une fonction plus précise, du point de vue de son créateur (dois-je dire dieu?): confirmer l'auteur dans ce qu'il est, dans ce qu'il pense ou dans ce qu'il désire. On voit bien là apparaître ce qu'il y a de commun entre un blog et le besoin de croire ou de religiosit,é dont on nous bassine le cerveau: un blog, c'est un réseau certes, mais un réseau de croyances, un consensus organisé par son créateur, un ton, une ligne éditoriale très rigoureuse. Une petite musique sociale, un rythme tribal. Ainsi, sur un blog, dire "tu as tord", c'est faire une fausse note, commettre un blasphème.

Et oui, mes très chers frères et sœurs, sur mon blog, ce que je veux, c'est qu'on me croit ! Discuter, c'est péché ! Croyez et taisez-vous tous...!

4 )

J'en viens au point essentiel et inattendu de mon sermon: le blog n'est pas un objet démocratique. C'est même à peu près le contraire. On ne s'attaque pas aux religions, aux croyances, au journal intime d'une étudiante dépressive ou à la capacité de séduction d'un dragueur ordinaire.

On croit dans un blog, on ne le discute pas. Il constitue finalement un espace de croyances communes organisées entre un totem et ses adorateurs, un roi et sa cours, croyances qui sont j'allais dire..."masturbées", adorées, psalmodiée en permanence par les participants du blog.

Un blog, c’est sacré.

Il sera ainsi très mal vu de remettre en cause la nature même d’un blog, son postulat éditorial, son ton général. Il va être impossible de dire « tu te trompes » ou encore « tu pourrais faire ça autrement, ou mieux ou pas du tout ! »    
Car tout créateur de blog est légitime par nature. Car vouloir croire est légitime, avoir sa meute est légitime, se faire sa famille élue est légitime. Nous sommes dans le domaine de la croyance et de l’identité, par dans celui de la raison et du débat.      
Ainsi donc, on constate peut-être assez tristement que l’individu, placé devant ce considérable et impressionnant espace de liberté qu’est son blog commence d’abord par faire une chose : créer, reproduire ou imiter des frontières, des territoires ou des espace. Je veux prendre un exemple assez symbolique du phénomène, les blogs que je qualifierai de générationnel (type « vingtenaires » ou autre…). Sur ces blogs, c’est la différence (d’âge) qui est en elle-même fondatrice de la nature même du blog, qui fait le ralliement et les croyances qui vont s’y exprimer. Il convient de marquer sa différence, autrement dit d’exclure, pour exister. Heureusement que nous ne parlons que d’âge, et pas de race…Sans pour autant proposer officiellement de jouer sur une différence pour exister, la plupart des blogs fonctionnent ainsi.

 

religion

 

5 )

Nous allons sur les blogs comme à la messe. Bien.

Quittons maintenant la sociologie facile et passons à ce qui me plait le plus : le jugement de valeur. Est-ce bien ou mal ? Maffesoli lui est super optimiste, toujours, tout le temps. Une croyance, une religion, une identité disparaît et alors aussitôt d’autres se développent et comble le vide. Les identités sont en mouvement.

C’est joliment dit. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait croire dans l’automacité de la succession historiques des identités et des croyances. Ce n’est pas parce que le besoin de croire va croissant qu’il est satisfait. On ne s’improvise pas Messie, et beaucoup se limitent à la case gourou ; ou courtisans. Au pire, vendeurs.

La multiplication des blogs démontre la généralité du besoin de croire qui marque l’individu moderne. Cela ne prouve pas la force d’identités nouvelles.

Les blogs sont des symptômes, pas des médicaments. Oui, parce que je suis désolé de vous le dire, mais vous n’êtes pas Dieu, et la plupart des gens qui croient en vous le font par intérêt.

Les blogs sont le signe d’une décadence identitaires et morales. Parce que bien évidemment, il ne peut y avoir autant de croyances que de blogs. Comme en réalité, nous en avons l’intuition, l’angoisse et la solitude progressent.

Ce n’est pas ainsi que l’on se fait un avenir.

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