Obscénité - Introduction
L'une des fonctions classique du cinéma, est
d’apporter aux spectateurs une vision et un discours sur le pouvoir, les
puissants et les hiérarchies. La femme de ménage pleure sur les malheurs de Sissi
l'impératrice et le simple travailleur raille avec Charlot, le patron, le
policier ou le dictateur. Le ressort fondateur étant, comme chez Molière et
d'autres avant lui, le regard critique sur les dominants, une échappée belle
depuis une triste condition de travailleur ou de consommateur. Dévots,
médecins, courtisans hier, PDG, élus et leaders d’opinion de nos jours, sont
moqués, raillés ou simplement humanisés. Plus rarement, le cinéma fait office
de propagande. Il promeut alors un modèle, un héros ou alors réunissant le
commun des mortels et la roman, il fait d’un homme ordinaire un personnage
historique.
Cette vision du cinéma correspond à la conception classique et académique
du spectacle. Si le spectateur s'approche parfois du pouvoir, ou de l'image
très travaillée et signifiante du pouvoir, c'est d'abord pour critiquer,
analyser et s'en emparer. Il s’approche prudemment de l’objet filmé pour
finalement mieux s’éloigner. Voilà bien la définition même du spectacle :
la distanciation provoquée par le spectacle lui-même. Par la mise en scène et «
le pour de faux ».
En ce sens, le cinéma comme tout spectacle ne crée rien. Il illustre ce qui est
à l'œuvre. Il dit mais n'invente rien. Il n’est pas créateur. En revanche, il
est engagé. On rit ou on crie, et ce faisant on place une distance entre le
spectateur et l’objet montré, comme entre l’enfant et le spectacle de Guignol.
Il se pourrait aussi que cette conception classique du cinéma change. Elle est
en tout cas contestée par une autre forme de cinéma.
Pas tellement dans le cinéma américain qui reste toujours très
"parlant", discursif, bien souvent jusqu’à la propagande.
Mais, il existe un courant cinématographique qui
s'attache à la psychologie, à la sociologie, aux sciences sociales; un cinéma
qui pense que la caméra à l'épaule serait plus vraie, plus "docu" que
le plan fixe, le travelling et les décors grandioses...
Une volonté étrange d'aller vers « le documentarisme », vers le
social dans le sens sociétal, et finalement vers la rechercher de la vérité,
des vrais français, des vrais gens, des vrais causes à nos vrais problèmes.
Strip-tease sociétal. Foutaises. Ere du vide de jeunes cinéastes qui n’ont rien
vécu, qui sont devenus cinéastes comme on devient employé de mairie, c’est à
dire sur concours et qui se demandent bien ce qu'ils pourraient filmer d'intéressant.
Ils filment donc, la vie, eux-mêmes, nous … et ne disent rien.
Comme si le cinéma pouvait être vrai. Imposture: La sociologie n'est pas un art
mais une simple technique (de distinction) et le cinéma au contraire parle «
pour de faux », mais, du coup, peut dire ce qu’il veut. "La comédie à la
française" a ceci d'exaspérant qu'elle se veut réaliste, qu'elle se prend
au sérieux, limite scientifique. Elle prétend que le décor n’en est pas un, que
le dialogue est libre et sincère et que le scénario est inspirée de la réalité.
Un cinéma à la Bacri-Jaoui, pourfendeur de l’actor’s studio certes, mais un
cinéma de lâche, qui au départ n'ose pas s'engager car il manque d’idées et qui
le fait finalement avec des discours passéistes. Qui ne comprend pas qu'on ne
puisse pas être d'accord avec lui. Cinéma de tout petit bourgeois.
Voilà ce qu’on peut nommer le cinéma de la haine de la démocratie.
Il y a aussi un cinéma plus trash, plus anecdotique, qui je crois n'échappe pas
à cette dérive socialisante. Je causais il y a peu avec une bloggeuse du film
de Damien Odoul , l'histoire de Richard O. dans lequel le réalisateur a
organisé une scène de sexe et d'amour réelle entre l’acteur M. Amalric et
l'actrice dont le nom m’échappe, avec pour faciliter les choses, des moyens
techniques légers. Scène d'ailleurs qu'Amalric assume assez mal paraît-il...
Voilà bien la fin du spectacle ! La fin du cinéma ! Un cinéma obscène plus que
pornographique, qui parce qu’il filme une scène de baise ou un moment d’amour
(au choix, peu importe) qui pourraient être les miens, se croit tout permis, y
compris le fait de nous montrer des bites en érection. Si l'acteur ne tue pas
encore, en tout cas, il baise !
Je me demande si ses parents sont allés le voir jouir.
On pourrait parler aussi d'Irréversible de ce petit con de Gaspard Noé, et de
la scène de viol de la Bellucci, filmée de façon documentaire, c'est à dire en
temps réel (c'est quoi le timing d'un viol ?). Quand on y pense, pourquoi faire
ça ? Quelle horreur que de se donner pour objet le documentaire du viol !
Mais, partons du point du vue que c'est du cinéma d'essai, un peu underground
(enfin pas tant que ça non plus, sinon cela n'aurait aucun intérêt) et donc peu
représentatif.
Toutefois, il y a toujours des films qui font exception: 36 quai de Orfèvres
par exemple qui constitue un vrai bon film classique américain ! De l'action
avec surtout des bagnoles, des gueules d'acteurs, des supers conseillers
techniques (l'ancien flic Olivier Marchal) et puis un bon petit discours corrosif
sur la guerre des services et les dérapages de la Police à papa. Dans un autre
genre, il y a le dernier Chabrol aussi, espèce d'ovni cinématographique dont on
ne sait trop quoi penser, sauf quand on a compris qu'il ne s'agit que d'une
discours moralisateur sur notre société.
Des films qui se présentent comme des erreurs dans notre paysage visuel
ambiant. Il faut songer à la difficulté du cinéma européen à faire des films de
guerre, genre passionnant s’il en est tant, par nature, il est aisé d’y
introduire un discours engagé dans ce paroxysme politique qu’est la guerre. Et
bien, on ne sait pas faire, alors que le cinéma américain fait ça de façon
industrielle, qu’il fabrique de la propagande-spectacle en gros.
Alors, ce cinéma social est-il nouveau ? Non, si l'on se trompe sur le sens du
mot social. Il y a eu, bien sur, le néo-réalisme italien de Visconti
(Ossessionne) et de Rosselini (Rome, ville ouverte) mais que l'on ne se
méprenne pas: bien moins social que politique et violemment engagé que ce
cinéma là ! Car remplit de colère, de haine pour l'Italie fasciste et
traumatisé par la pauvreté des bas-fonds de l'époque... Il y avait du discours,
pour le moins ! Une symbolique de la pauvreté même. Le réalisme, la sociologie
c'est bien; mais encore faut-il faire du cinéma. Or ce cinéma a fait date pour
symboliser, lui-même, la pauvreté. Ce cinéma est devenu une image, un média
pour parler de la pauvreté, de l’oppression politique etc.
Notre cinéma sociétal à nous ? Oh ... il existe juste, c'est à dire qu'il sociologise.
Il décrit. Que dit Desplechin ? Rien du tout, mais il parle de vous et moi,
comme on peut parler de la pluie et du beau temps sur un blog. Entre gens bien
habillés quand même. Ne vous inquiétez pas, il ne raconte rien de grave sur
votre compte. Un bon moment de détente, qui sera vite oublié.
Quittons maintenant le cinéma qui tout de même nous réserve de bonnes surprises
et entrons dans la vraie vie, celle de la ménagère de moins de 50 ans, qui
autrefois rêvait sur Sissi l'impératrice mais qui aujourd'hui envoie sa fille
faire le casting de pop-star. Ce phénomène de socialisation, de démocratisation
et de massification du cinéma (voir de l’image on s’en doute) n’existe-t-il pas
ailleurs ?
Parce qu’on les a vues, les files d'attentes … Ils
n'ont pas manqué de nous les montrer, à M6. Celles qui chantent comme les
casseroles de maman pourront toujours se présenter aux enregistrements des
émissions publiques, applaudir leur copine sur ordre et acheter Voici le
lendemain.
Le principe n'est pas nouveau, me dira-t-on. Les radio-crochets existent depuis
belle lurette. Bien sûr. Sauf quand dans ce cas là, il s'agissait d'artisanat.
Or, nous sommes passés à la phase industrielle. Ce qui change tout.
Le phénomène sur lequel il convient de s’attarder un instant est la
démocratisation de "l'étoile", de "la star", et autant dire
le mot, du héros.
Pourquoi est-ce important ? Parce qu'il y a là un paradoxe qui va nous aider à
aborder notre sujet: « la star », la « star internationale » pour le cinéma, en
encore l’ancienne rock-star des années 1970, fonctionne sur le rêve,
l'exception, la rareté... Voire l’absence.
Sa démocratisation devrait être une impossibilité. Le héros est une rareté ;
or, l’inverse se produit aujourd’hui.
Alors, on a déjà largement écrit sur le phénomène et d’autres bien mieux que
moi. L'essentiel se situe dans le processus de rapprochement entre le spectacle
et le spectateur, particulièrement visible si l’on veut un exemple, dans le
journal télévisé de JP Pernaud ou dans la télé-réalité.
De Sissi l'impératrice à Pop-star, le spectacle subit une lente dégradation
démocratique qui confine à la disparition même du rôle de spectateur actif
(voir d'acteur chez Odoul) et donc de spectateur citoyen, c’est à dire
critique. L'exemple évident réside bien sur l'importance prise par les
émissions de télé-réalité (confère la femme de JP Pernaud), sachant au passage
que le cinéma avait vu le coup venir bien avant Endemol ("La mort en
direct" de B Tavernier, en 1980, par exemple) et que l’Antiquité avait elle
même connu une période durant laquelle le théâtre est devenu réel.
Que ce passe-t-il exactement ?
La distance entre le spectateur et le spectacle se réduit. Or, cette distance
est fondamentale. Elle est ce qui autorise le discours, le positionnement de
l'auteur, du réalisateur dans le jeu spectaculaire. C’est son territoire. Elle
permet l'engagement politique, la mise en œuvre du symbolique, du politique et
même du religieux. Elle permet de croire. A l’histoire du film tout d’abord.
Pour comprendre, rien de tel qu’un peu de linguistique élémentaire : le mot
arbre n'est pas l'arbre. Toute chose pour être perçue doit être symbolisée.
Premièrement par un mot, puis un discours et éventuellement un spectacle.
A l'extrême, la sémiologie fait science d’analyser comment l'autel de l'Eglise,
l'estrade du magistrat, l'urne de la mairie font symbole et spectacle. La
distance entre le mot et la chose signifiée est dans ces trois cas là extrême.
Or c’est à la fragilisation de cette distance que l’on assiste.
La chose est assez grave. C’est de nos mots, de nos symboles et de nos
croyances dont il s’agit ; de notre capacité à parler, comprendre, dire.
La culture, la langue, la civilisation sont en jeu. Rien de moins. Si je n'ai
plus la place pour mettre en place mes mots, ma réflexion, ma subjectivité et
éventuellement ma vision du monde et ses symboles, alors, je ne sais même plus
qui parle, ce qu'est un clavier, à qui je m'adresse. Je suis atomisé, massifié…
(démocratisé ?).
Vous êtes largués ? Vous dormez ? J'ai ce qu'il vous faut: parlons de cul !
Parce que l'histoire de la pornographie est le plus parfait exemple pour
illustrer ce qui est dit là. Comme dans le cinéma en général, y a t il une
phase classique de la pornographie ? Le très sympathique documentaire de canal
+ (je vous le conseille bien évidemment), « l’âge d’Or du X », nous fournit
quelques éléments de réponse…
Il y a eu, semble-t-il un temps artisanal du phénomène porno, un âge d’or, une
période rêvée et aujourd’hui fantasmée : 1974-1985. 10 ans de scandales, de
chair joyeuse, et d’évolution législative concernant la profession. Certaines
diront de tentatives féministes aussi. Il faut bien avouer qu’autour de
Brigitte Lahaie, les étalons avaient des airs de benêts juste bons pour la
reproduction…
Alors, auparavant, il y avait eu la longue phase du porno confidentiel, pour
des raisons techniques, celui des photos cochonnes sous le manteau, des films
scandaleux, des « saloperies » comme disent les vieux, difficiles à trouver,
dans lesquels tous les tabous explosaient avec une facilité déconcertante... Un
porno qui fuit le franquisme par exemple, qui montre poils et animaux dans une
ambiance rurale assez peu ragoûtante pour les métrosexuels que nous sommes
devenus. C’est un porno pulsionnel, sans véritable but autre que la
satisfaction de ceux qui le font. La période du porno à papa, considéré comme
"vintage" aujourd’hui, par les greluches qui aiment beaucoup leur
papa. Je ne pense pas là qu'il y ai un quelconque phénomène.
Ensuite, donc, la phase très courte de l’age d’Or du X, celle où les actrices
d’hiers, qui tiennent encore les boites à cul de Paris aujourd’hui, avouent
avec nostalgie, qu’elles prenaient grave leur pied avec leur potes, à faire du
cul pendant ces belles années. C’est aussi un cinéma qui fait des millions
d’entrée, qui va jusqu’à être sélectionné à Cannes, un cinéma qui a un certain
sens car à la fois très bourgeois (on respecte le triptyque : château, cheval,
rolls… La maîtresse ou la bonne font comme chez Marivaux, exploser l’icône du
couple tradi) puis très libertaire et féministe. La cul, ça permet de faire le
con…(Y-a qu’à voir les titres : « l’arrière train sifflera trois fois »…Bref).
Le moins que le puisse dire, c’est que ce porno là, n’était pas pornormatif. Au
contraire.
Hélas, viendra ensuite, avec la vidéo puis le DVD, l’ère industrielle. Et
normatif, il l’est alors carrément. Bizarrement, le plus facile pour le
décrire, c'est encore l'étiquette géographique: le porno français/italien,
américain, allemand, brésilien etc... Division géographique du travail, une
espèce de théorie des avantages comparatifs du cul. On fait dans le volume, les
techniques se mettent en place, la filière s'organise. Il semble que nous
sommes encore dans cette phase qui continue de produire, mais économiquement,
il apparaît aussi que c'est de plus en plus dur.
Que se passe-t-il ? Mais voyons ... l'arrivée de la
webcam ! La star (du X), c'est vous ! Honnêtement, trouver un mec qui montre
son sexe sur sa webcam va me prendre à moi qui pourtant n'aime pas les
garçons... 1 minutes, tout au plus. Pour une fille ? C’est un peu plus long car
elle font un peu plus les mijaurées, les filles… Qu'est ce que je vais me
déranger à payer des cassettes répétitives de pornographie alors que j'ai tout
sous la main. Le spectateur se rapproche dangereusement du spectacle. Il
participe !
Et, il est tout simple de monter sur scène : « on se retrouve à quel métro ? ».
Le cinéma sociétal, la télé-réalité, le porno… trois spectacles qui refusent
toute distance entre le spectateur et le spectacle, trois dimensions
spectaculaires qui fonctionnent toutes au nom de la même règle : l’obscénité.
Cette menace à l'égard de la distanciation vitale dans le spectacle me permet
ainsi d’énoncer clairement mon propos du jour : la société occidentale est
obscène. Pornographique dans le sens industriel et non pas rebelle.
Pornormative.
Détail percutant : si l’on donne à l’idée de distance un aspect temporel et non
pas seulement spatial, alors il faut énoncer que notre société est incestueuse,
pédophile à l’extrême limite.
Mon but maintenant est de décrire. Pour cela deux étapes :
1 - L'économie de ce (non-)spectacle moderne, texte dans lequel je prendrait
quelques exemples dans la publicité pour affirmer que non seulement le
spectacle provient des structures économiques mais qu’il lui est inféodé
intellectuellement.
2- Partouze sociale et obscénité démocratique, deuxième partie dans lequel je
solliciterait Régis Debray et son opuscule l’obscénité démocratique pour
décrire quelques caractéristiques sociale et politique de notre société
obscène.