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Pensée verticale
22 octobre 2007

Obscénité - 1

Je m'arrête donc maintenant sur ce qu'on pourrais appeler l'économie du spectacle.

Affirmer que cette économie n'est pas au service de  l'homme mais à celui du profit est une évidence. Overblog appartient à TF1 et l'on ne peut pas à proprement parler affirmer qu'il s'agit d'une entreprise philanthropique. Toutefois cette évidence qui n’est pas nouvelle me paraît digne d'être creusée non pas dans le sens où l'infra-structure du spectacle est détenue par le capitalisme, mais dans le sens où la structure même du spectacle, de la mise en scène est une technique de maximisation du profit. Ce qui au passage menace la réalité, la possibilité même de l'art .


Il y aurait une trahison du spectacle qui n’est plus du tout discours politique mais pure économie, captation du spectateur-client, happening de super-marché.


Plus précisément, je suppose qu'il y a une conjonction, une similitude ou encore une sorte d'analogie entre le mécanisme du spectacle contemporain et celui de l'économie de marché. Plus encore, je suppose qu'à l'origine de la réduction de la distanciation sémiotique, il y a une analogie avec ce qui a commencé par la réduction de la distance entre le client et le produit.


L’économie du spectacle, c’est l’économie.


C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le fait que la culture devient une marchandise; non pas parce qu'elle est mercantile (rien de nouveau, la gratuité des musées ou de la culture est un mensonge de la gauche friquée, qui confond peuple et masse), mais parce qu'elle s'offre de plus en plus directement, vulgairement et de façon obscène au regard. Le pire de l’outrance et de l’obscénité ayant par exemple été vu à Avignon, où l’on a vu cette année des hommes en érection… Montrer une scène de cul pour signifier l’enlèvement de la déesse Europe, c’est le contraire de l’art, c’est sa négation, c’est privilégier l’objet au sens, à la signification. C’est vide et sans mot. La distanciation se réduit, la champ médiatique s'appauvrit et la culture devient grossière. L'atteinte à la civilisation est évidente.


Or, je suppose que cette évolution est concomitante voire déterminée par, et cela ne peut être une coïncidence, le rapprochement entre le produit et le client. Car tout est là : plus le client est loin du produit, moins il achète. Il faut foutre le nez du spectateur dans la merde et aussi qu’il mette la main au porte-monnaie (ce qui pour Freud est la même chose). La culture qui est une marchandise comme une autre, et il n’y a que les bonnes sœurs pour s’en émouvoir, n’échappe en rien à ce constat. Pour être vue, l’œuvre aujourd’hui doit être proche, transparente, et authentique. Et pour faire un effet de réalité, un acteur (ne plus dire comédien) en érection, il n’y a pas mieux…


Cette conjonction mécanique entre le fin de la distance entre le spectateur/client et le spectacle/produit est d'une efficacité sidérante.


Je prendrais quelques exemples dans la publicité pour comprendre comment cela fonctionne.

Autrefois, le processus symbolique, la distance n'étaient pas véritablement mises en danger par l'activité commerciale. Le produit entre dans le champ sémiotique comme n'importe quel aspect de celui-ci et s'en nourrit. Parce qu'au départ, le symbolisme est vu comme une chance, une ressource pour le commerce et la vente du produit.


Le client adhère à des représentations du monde dans lesquels le produit issu de l'activité capitalistique ne fait que de s'insérer. Il y a tout simplement une sémiologie du commerce et de la publicité, dont on apprend un peu les ressorts dans les BTS action Co et à Sup de Pub.

Levi's se positionne sur l'imagerie positive du Far West pour vendre des jeans et quelque part nourrit le symbolisme , la culture dont il se sert. Le marque ne crée rien, ni ne détruit quoique ce soit, elle s'insère simplement dans le paysage symbolique des gens, sans remettre en cause leur vision du monde qui ne s'en trouve en rien transformée.


Mon idée à ce stade est que cet état de fait ne peut pas se pérenniser dans le temps.

D'une part l'utilisation forcenée, car liée à l'exigence de rentabilité sans cesse renforcée, des symboles, réduit leur performance en terme de pouvoir original d'adhésion et d'identification.

D'autre part, fondamentalement, l'utilisation du symbolisme est culturellement trop complexe, trop partiel et partial pour fournir en significations et « sentiments identitaires » tous les messages commerciaux destinés à la foule des micros-marchés, des niches et des clientèles spécifiques.


Le symbolisme ne suffit pas à l'exigence de croissance à deux chiffres.


Parce qu’on peut douter que toute les clientèles le perçoivent correctement, qu’il soit bien interprété et finalement qu’il touche à tous les coups sa cible... Etant donné aussi le coût de sa mise en œuvre, il faut alors conclure que la distance sémiotique n'est pas une ressource pour l'activité commerciale, mais un obstacle.

La conclusion est donc évidente: il faut la réduire, voire s'en débarrasser. Et l'on perçoit, là, l'analogie entre réduction de la distanciation dans la société de spectacle avec celle de la distance entre le produit et le client. Les deux phénomènes sont au moins concomitants et pourquoi pas, relié par un phénomène de cause à effet.


On peut affirmer dès lors que laisser une marge, un espace symbolique au spectateur-client revient à créer une marge d'incertitude dans le comportement de l'individu, ce qui est ... mauvais pour les affaires. La liberté du client n'est pas rentable. La liberté de ne pas acheter (et pourquoi pas si l'on fait œuvre d'analogie, la liberté de ne pas voir le spectacle) doit être annihilée. Détruite. Le but ultime désormais de la société de consommation n'est pas qu'il y ai une décision d'achat, mais un achat sans prise de décision. Pour cela, la destruction de la distance entre le spectateur-client et le spectacle-produit doit être menée à bien.

Alors comment s'opère, dans le contexte de cette symbiose entre une société du spectacle qui avale le spectateur et une société de consommation qui avale le client, le mécanisme de réduction de la distance.


Comment supprimer la décision ?


Je vois un semblant de réponse dans le slogan "Just do it".


La logique est élémentaire, simpliste au possible: il ne doit pas y avoir décision, mais simplement acte d'achat. Action. Et bien, tout simplement: faisons du passage à l'acte une valeur.
"Just do It". Le langage performatif issus des valeurs entreprenariales est là pour nous fournir tous les arguments, comme par hasard !
(Les gauchos qui sautent de joie en s'apercevant que je viens de dire que le capitalisme est un fascisme n'ont pas tort; mais au cas où vous n'auriez pas compris, je me suis lancé là dans la pseudo analyse néo-marxiste à deux balles; choisis ton camp mon ami!).


Alors quoi ? Et bien, le jugement, le doute (et oui...carrément!), la réflexion, l'hésitation, l'indécision (voyez comme le mot indécision est devenu péjoratif alors qu'à la base il signifie non-décision de façon neutre), ou encore la lenteur doivent être systématiquement combattus. Le passage à l'acte, la vitesse, le saut, l'actionisme, "profiter de la vie parce qu'elle est courte", "carpe diem", sont les langages de l'entreprise, de la décision, de l'absence de distance, de la bêtise et de l'inculture. Des petits rigolos ont écrit "éloge de la paresse" pour emmerder le monde. Mais qui oserait vraiment appliquer ? Amusant mais quel vacuité... Non, la paresse n'est pas notre truc. Sauf, si vous êtes un looser, auquel cas elle est un refuge mais en aucun cas un choix. De toute façon, d'où vous décidez, vous !? Allons, agissez simplement.


Agir c’est une chose. Mais comment ?

Mais c’est simple, on vous le dit depuis le début : « en vous dépassant ». En dépassant toute prudence, toute limite, toute distance. Le spectacle capitaliste est cet ange de la mort, ce démon tentateur qui nous dis « mais si, vas-y, saute ! ». Enfin, peut-être pas devant le métro non plus …


J'avais déjà abordé ici la question de la publicité faite par Universal Mobile sur le petit écran. Vous trouverez facilement, l'article, il est sur ce blog, dans la catégorie publicité. Les derniers spots Universal Mobile sont basés sur l'idée de dépassement de la limite.


Mais pas de n’importe quelle limite. Soyons précis.


Fini le langage performatif ! Cela ne suffit plus: la limite qu'il convient, qu'il est loisible et rentable de dépasser, c'est maintenant la limite morale.

Dès lors, que l'on a le forfait Universal Mobile, on peut outrepasser les principes éducatifs de papa et maman, sortir à pas d’heure et foutre la voiture de papa dans le mur, se taper 5 petits copains en même temps à la maison, tout en les invitant au petit-déjeuner familial le lendemain matin (pourvu que papa reste habillé, n'est-ce pas...). Dès lors que l'on a le forfait, les jeunes filles en fleur peuvent faire des partouzes à domicile.


Cette série de publicité Universal est à mon avis, d'un point de vue psycho-social, à la pointe de l'analyse. La pub "si tu veux pas que ta mère t'éclate" a lancé la machine infernale. Il y a, plus ou moins, sous-entendu, la possibilité de violence exercée sur l'enfant dès lors qu'il n'a pas le forfait. Mais, c'est surtout, la plan final qui surprend: après avoir battu son fils, la mère le câline et le console. Le publicitaire met en scène non seulement l'enfant-roi, mais ce qui fait sa catastrophe éducative: l'éducation contradictoire. Les coups et la caresses dans quasiment le même temps. On aperçoit bien, l'absence totale de distance, le chaos qui règne dans ce domaine. Or, cette distance disparue, quelle aubaine !

Car quel est donc le sens de ce plan final ? Maman caressant son fils après l’avoir « explosé »... Vous êtes en brainstorming créatif et vous justifiez la scène finale… comment ? Le fils dit « tu le diras pas à papa hein ? »…Pourquoi ?


Destruction totale des distances, entrée en scène de la mère fusionnelle, violente et amoureuse, celle qui va être la plus douée, la plus forte, la plus convaincante pour … vous faire acheter.

La maman/copine, voilà une bonne position de vente !


L’autre spot, qui met en scène la blondinette et ses 15 copains nus est encore plus abouti psychologiquement: non seulement on reprend le principe de l'enfant roi, de la réponse immédiate à tout ses désirs mais on va plaquer non plus la violence de la maman/copine fâchée, mais un codage « pornormatif » (la partouze en gros, où soyons précis la gang bang. Soit dit en passant, il y a une version internet de cette pub, pire, puisque l’enfant blond passe la tête sous les draps quand ses parents quittent la chambre ... pour reprendre la fellation malencontreusement interrompue, fort probablement… Et le spot est ponctuée de plusieurs codes porno comme les menottes, la culotte qui traîne etc… cf mon article sur le sujet).


Cette publicité est pour moi géniale et terrifiante. Elle a pour objet de détruire toute les distances, même la première, la plus taboue : la distance familiale. Le spot commence par un gros plan sur la photo de famille, bien sûr.

Je rêve qu'un jour, il y ai un serial killer de publicitaire ... Ou alors le suicide en place publique de Beigbeder. Sérieux, moi je vais voir ! Voilà un spectacle qui aura du sens, qui remettrai la personne a une place qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Prenons un autre exemple, pêché au hasard du paysage publicitaire ambiant: le spot pour "Neuf". Vous savez: "appelez le 10 99" etc. Ce spot est en apparence idiot. En réalité, c'est tout l'inverse: il est idiot pour que vous puissiez penser qu'il est idiot.

Ayant pris acte de la nécessité de rapprocher au maximum le client du produit, le pubard s'est dit dans ce cas: faisons-lui jouer le rôle du créatif lui-même ! laissons entrer le client dans la salle de réunion du brainstorming. Directement. Le spectateur/client est amené ainsi au coeur de la conception du language commercial, pour lui faire croire qu'il détient une pseudo position de domination, de juge de ce qu'il faut faire ou pas.



"Et le chien, il miaule ?"...Hahaha, on rigole !!!

Non, vous ne rigolez pas, vous êtes en train de vendre un produit sans vous en rendre compte. Vous jugez et concevez vous même ce qui bon comme argument commercial, vous admettez d'amblée ce rôle de pseudo-supériorité que l'on veut vous faire jouer.


Rappelons-nous toutefois que le rire est un langage de soumission.



La publicité Neuf met le client en position d'auto-persuasion. C'est un bel exemple de manipulation mentale.

Evidemment, il y a aurait là un argument: un tant publicitaire lui-même, le client finalement retrouve une liberté, une distance sémiotique ! Bien évidemment, cette argument est la preuve que la manipulation a fonctionné. Non, il faut l'admettre: vous n'êtes pas le publicitaire. Vous n'avez pas fait la pub Neuf, mais on vous le fait croire. Vous agissez, vous ne décidez rien.


Je terminerai ce petit jeu de commentaire de pub, par un des spots "Nike" qui pour moi est un peu trop intellectuel pour être vraiment percutant, mais qui couronne le tout. On ne pourra pas aller plus loin que ce spot, théoriquement parlant. Dans un de ces derniers spots, donc, la paire de basket prend un rôle tellement fort, elle tellement puissante et performante que c'est l'humain qui est dans une boîte et qui est essayé et remplacé par la chaussure...dans un magasin d'humains donc. La pub ici est moins percutante, parce-ce que probablement, on sent assez bien le second degré... C'est histoire de dire, de faire un effet. Toutefois, quel symbole !

Vous n'êtes plus un cow-boy parce que vous avez des jean's à rivet, mais c'est la paire de bottes(basket) qui vous choisit en tant que client. L'objet domine l'homme. C'est bien le but du commerçant moderne.


J’utilise là des exemples pêchés dans la publicité parce que je les pense symbolique. La publicité est le plus parfait exemple de tous les risques encourus par la réduction de la distance dans le spectacle. La société capitaliste valorise le Just-do-it plutôt que rien et le spectacle moderne nie toute les distances mêmes les plus millénaires.


Le spectacle est au service même de la domination de l'homme par l'objet. La réduction de la distance entre le spectacle et le spectateurs, c'est la digestion du client par le produit. C’est une décadence, une processus de régression culturelle.

Quand le gladiateur qui va être tué a remplacé l’acteur qui se relève toujours, Rome plongea alors dans la décadence.

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