Obscénité 2
Quittons à présent l’économie du spectacle pour revenir au spectacle lui-même, au sein de notre société et plus précisément là où se cristallise l’enjeu du spectacle : la politique.
Pour ce faire, convoquons l’incontournable dans ce domaine: non pas Guy Debord,
mais bien Régis Debray.
Ancien disciple du « che » en Bolivie devenu ensuite médiologue d’inspiration
néo-marxiste se définissant, pour l’avoir entendu de sa bouche, par la belle
expression de « cartographe » de la société, il développera une analyse, mal
vue dans son camps politique, développant le constat que toute société, même
communiste par exemple, a une transcendance propre, une régime de croyance
particulier qu'il convient de distinguer, de décrire et donc de cartographier.
Il publiera de ce fait de nombreux ouvrages sur les croyances et la religion,
dont l’excellent et imposant Dieu, un itinéraire, dans lequel il retrace
le parcours historique et culturel de l’idée et de l’image de Dieu. Il va sans
dire que pour les matérialistes purs et durs, sa position et son sujet d’étude
sont pour le moins suspects… Mais voilà : Régis Debray prend acte, et jamais ne
détruit. Or, il paraît que pour un sociologue, c’est assez mal venu.
Il publie actuellement un petit opuscule de 85 pages, fort lisible, très
dynamique et sans frilosité aucune à l’égard de la polémique, le sus-nommé Guy
Debord en prenant par exemple pour son grade d’icône post moderne. L’ouvrage
connaît un certain succès de librairie en ce moment puisque selon les dires
d’un monsieur en vert exploité par l’hyper marché culturel que vous connaissez
tous, il est régulièrement en rupture dans les rayons. Donc demandez le si vous
ne le trouvez pas !
Je suis néanmoins parvenu à mettre la main sur l’obscénité démocratique.
Petite remarque en passant : ne comptez pas sur cette grande surface de la
culture pour vous procurer les autres ouvrages de Debray (L’Etat séducteur,
par exemple … c’est d’actualité), car à coté de la rangée sur ce rigolo de
Derrida, il n’y a aucun ouvrage de notre homme à la lettre « D ». Sauf erreur
de ma part.
L’obscénité démocratique donc. Rien que le titre devrait vous inciter à courir
chez votre libraire poussiéreux favori, d’autant que 12 euros, pour y voir
clair et être plus intelligent qu’avant, c’est pas cher…
Alors précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas là d’une critique théorique de la
démocratie. Ce n’est pas une thèse indigeste de science politique ; non, bien
au contraire, l’auteur utilise pour varier les plaisirs divers exemple variés
et colorés, depuis le théâtre antique, jusqu’au cinéma actuel en passant par
Ségolène Royal, le petit Nicolas et tous ceux qui font partie de notre société
(et non plus spectacle) démocratique. En d’autre terme, pour ceux qui
n’ignorent pas qui est J. Rancière, il ne s’agit d’un nouvel épisode de la
haine de la démocratie. Bien au contraire, Debray est probablement un très
grand démocrate. Justement.
Toutefois, pour lui, notre société démocratique, notre démocratie à nous est en
plein dévoiement.
Que dit l’auteur exactement ?
Pour résumer : A mort le cinéma social, vive le théâtre des masques ! C’est
valable pour l’art, mais aussi et surtout pour le pouvoir politique. Il faut
faire un sort à « l’authenticité », à la « vraie » France, à la « proximité »
et à la transparence. Non pas, tout comme la démocratie, que ces concepts
soient mauvais. Mais, ils ont été pervertis.
« Or, quand le bâton est tordu, il faut le tordre dans l’autre sens pour qu’il
soit droit… » (sic).
Il faut préserver aujourd’hui ce qui reste des zones d’ombres, des distances,
de l’apparat. Redonner à la mise en scène toute sa noblesse et son importance.
La mise en scène, c’est le discours, la politique mais aussi la pudeur, la
civilisation, le contrôle de la violence et des instincts.
La transparence, quelle illusion ! Parce que, c’est le riche qui souhaite la
transparence d’un Etat pauvre, rigoriste et bien géré. Il est vrai que c’est
lui paie… Alors que le pauvre, lui, n’a intérêt qu’à la grandeur d’un Etat
opulent, généreux, byzantin, garnis de moquettes épaisses et où les ors
brillent de mille feux. Où aussi la dépense se confond avec la redistribution…
Sans compter que « les frais d’authenticité » deviennent de plus en plus
considérable. De Gaulle n'avait pas ce problème.
Alors voilà, ce petit ouvrage organise non sans polémique, un véritable tir
d’artillerie contre cette pratique démocratique qui n’a plus rien d’un
spectacle, pratique qui fait de l’absence de mise en scène, de décor, une
valeur. L'urne est transparente, et bientôt, il n'y aura plus qu'un bouton.
Pour quoi faire déjà ?
Le théâtre, voilà l’ennemi ! nous suggère-t-on aujourd’hui…
Alors qu'en réalité, il est presque consubstantiel à la démocratie !
Excellent exercice intellectuel au passage que cette intention de principe de
distinguer la démocratie de ceux qui la vivent et la font… Election piège à con
?
Ca dépend. De façon théorique et conceptuelle, rien
ne le dit. Mais qu'avons nous fait de notre démocratie ?
Est prise pour cible cette « France Présidente », de l’ex-candidate parce que
voilà bien un non-sens théorique flagrant tant cette volonté de destruction de
la distance entre la Nation et sa représentation est la contradiction même de
l’idée de démocratie représentative et de son rêve post-moderne, la «
participative ». La France n’entrera jamais toute dans le palais et on ne voit
même pas pourquoi elle le ferait. La France, ce n’est pas 60 millions d’élus.
Ironie aussi contre ce qui a été, on ne l’a pas assez dit, « la campagne des
prénoms », Nicolas contre Ségolène, qui n’a contribué qu’à affaiblir la
fonction, qu’à nier la mise en scène, qu’à « populiser » une fonction qui
impose le contraire, ou un moins le respect.
Qui, jadis, aurait songé à nommer le général « Charles » ? Même
l’irrévérencieux n’aurait vu là qu’une incongruité. La fonction prime, que
diable ! Y croit-on vraiment au « président Nicolas » ? Un destin d’éternel
chef du gouvernement finalement, sans pouvoir et sans fidèles, un simple PDG
qui organise des conseils d’administration le mercredi matin et passe son temps
dans les avions.
Y crois t on vraiment à cette présidence, quand c’est la municipale à Neuilly
qui amuse la galerie ? Le futur maire défend Cécilia contre la meute de
journalistes qui de toute façon fricote depuis toujours avoir le pouvoir;
combien sont-elles actuellement à coucher avec la démocratie ?
L’obscénité démocratique consiste dans la rupture, la casse de la distance
entre le représentant et le représenté, distance nécessaire, comme au théâtre,
à l’installation du discours et finalement du pouvoir. Les relations
horizontales entre des citoyens participatifs ne peuvent exister seules. Elles
ne font pas sens, de fait. L’élu moderne est le pornographe de la démocratie.
Non pas que le débalage de la vie privée des locataires de l’Elysée soit la
preuve de ce phénomène, mais au delà de ce gros plan sur la vie quotidienne de
la petite famille…il n’y a rien, pas d’autres discours. Le Fouquet’s et des
service d’ordre.
Mise en scène ? Discours ? Acte de foi … Non, non, rien. Rien du tout. Juste
des petites journaleuses qui ne rêvent que d'une chose: maintenir la tradition
française qui fait du journalisme un planche d'appel vers des fonctions
notabiliaires.
A ce quoi croit ce « Nicolas », avec « ceux qui pensent que », nous pourrions
croire aussi, nous pourrions penser avec… Mais non, rien.
Les croyances de « Nicolas » ? ? ? Quelle question
incongrue…
C’est pourtant là que se joue le politique.
Mitterrand en avait des croyances, par forcément les bonnes. Chirac ? la
question restera posée longtemps … Avec Nicolas, la question ne pose même plus.
La démocratie n’est plus une croyance, un spectacle, une cérémonie...
Elle est devenue notre agenda perso.
Régis Debray écrit finalement « pour faire pousser des branches horizontales,
il faut aussi des troncs verticaux ».
Cette phrase doit poser problème à tous les tenants de la démocratie directe,
participative, de la transparence de la gestion et de l’authenticité du débat.
Il faut avoir assisté à une réunion de quartier, promue et maintenue coûte que
coûte pour ce bon Delanoë, pour s’apercevoir des dangers de la démocratie
directe. Nullité des débats, violences, spectacle outrageux et outrageants
d’une démocratie qui n’a plus de sens, qui singe la démocratie parce que l’on
ne sait rien faire d’autre... Quel intérêt ?
Pour le marxiste médiologue, il y a et il y aura toujours (heureusement pour sa
boutique…) une distance entre le ciel et la terre, entre l’ouvrier et
l’idéologue, entre le citoyen et l’Assemblée. Au Palais Bourbon, la place et le
rôle du citoyen, est d’assister au spectacle. Pas de le faire.
Alors, le spectacle justement ?
Guy Debord en prend tout d’abord pour son grade avec sa société du spectacle,
simple para-thèse de l’œuvre de Feuerbach, L’essence du Christianisme.
La libération de l’homme après la fracture crée par la société du spectacle,
par le miroir (divin chez Feuerbach en 1841, du spectacle en 1967 chez Debord …
mais en gros, c’est pareil) dans lequel elle admire sa puissance ? Simple
idéalisation d’un « éternel printemps », d’un peuple qui finira bien par
trouver la révélation de … quoi ?
Des saintes écritures ? Ca la fout mal pour le prolétariat ! Vision
marxo-messianique encore et toujours… Rendons Debord aux bobos et aux
étudiantes en Kâgnes, il est pratique pour faire la conclusion. Bref.
Alors, comme le printemps libérateur se fait attendre dans la société du
spectacle actuelle, et bien la distance se voit menacée. Les médiateurs sont
des salauds et le populiste en appelle directement au peuple. La France dans
l’Elysée ! Partouze démocratique, nimbée du moralisme suspect d’une
française qui en a tant souffert…
Le spectacle démocratique se meurt ! Vive le
spectacle démocratique 2.0 !?
Non, non, il se meurt, c'est tout.
Cessons là. Rideau. Recul. Zoom arriere, prise de champ…
Et une image, pour illustrer l’idée de Régis Debray :
« Le théâtre romain sous l’Antiquité s’est éteint vers le fin du IIIème siècle
quand il s’est fondu avec les jeux du cirque, quand l’acteur et le gladiateur
n’ont plus fait qu’un, quand on a emmené le condamné à mort jouer les scènes de
meurtre et d’agonie, pour offrir au spectateur une vraie mort en direct, en
lieu et place du simulacre … C’est à force de vrais morts et de vrais sangs que
la tragédie est morte, elle dont l’apparition avait escorté, à Athènes, l’avènement
de la première cité délibérative.
Le théâtre naissant a vu la démocratie naissante et
le théâtre finissant, la démocratie finissante ».
Cette année à la Comédie française, Tartuffe s’est mis à poil. Hop, la bite à
l’air ! Allez demander aux enfants de voter après ça… Encore faudra t il qu’ils
aient le temps entre deux partouzes délibératives (ou mêmes pas).
Pas très optimiste tout ça ? Oh mais que l’on se rassure : le spectacle n’est
pas vital. La mise en scène, l’art de la distanciation ne sont pas des
conditions à la vie humaine. On peut faire sans… Dieu sait toutefois, ce qu’il
va advenir alors.
Car, ce que Régis Debray ne fait pas en tant que simple cartographe, ou ce
qu’il sous-entend en tant que médiologue et ce que sous-entendent aussi tous
ceux qui connaissent l’Antiquité par exemple, c’est que la fin du simulacre, du
« pour de faux », le règne du porno home made, la gloire de la transparence et
de l’open-space aboutit à la sauvagerie, à la décadence, à l’Empire.
Le distance c’est aussi le jugement moral. Ce en quoi nous croyons… En l’Homme
disent les paumés !? Quelle bande d’entarteur ! Foutaise...
Le théâtre est le débat politique et moral (Antigone), le spectacle judiciaire
est la balance des arguments, l'office religieux un pur acte intellectuel
d’introspection. A chaque fois, du temps, de l’indécision, de la réflexion.
Quitter la scène plus indécis que lorsqu’on y est entré. Rien n’est simple. La
morale de l’Homme n’a rien à voir avec celle des affaires. L’action, la
simplicité et les fonds de pension éthique ne font pas morale.
Quant seule l’action compte, maquillée qui plus est par le fard de la
transparence, de la bonne gestion, avec l’importation étrange de l’orthodoxie
financière luthérienne (mais qui est Eva Joly ?), dans le respect des valeurs
et du citoyen, alors où est le forum ? La neutralité, voilà le rêve encore
inavoué de cette démocratie en échec. Impuissance surtout.
Alors le forum ?
- « Dans le trou des halles » gueule Abdelkader qui s’y connaît !
- Ta gueule, barbare, sarrasin ! Rapace de cette démocratie sans fois, ni lois
!
Il ne faut pas s’étonner que par un beau matin, lassé par l’outrance et
l’obscénité du monde des adultes qui maquillent leurs filles en poupée baisable
à loisir, vomissant un spectacle qu’il n’a jamais souhaité voir d’aussi près,
un blond adolescent romantique et faché, prend le 9 mm d’Abdelkader (500 euros
à Bobigny), et bute son professeur et sa copine de classe. Là, en matière
d’échec de la distanciation, on est à bloc… « A donf ».
« Just-do-it » en partenariat avec Berretta vous remercient de respecter une
minute de silence (levez-vous !) à la mémoire de notre démocratie défunte. La
question n’est pas de savoir pourquoi le massacre de Columbine, mais pourquoi
pas ? Pourquoi pas chez nous ?
Parce que des raisons, moi, j’en vois plein ...
Je veux bien être horrifié, mais surtout, je trouve que c’est très beau, ça va
bien dans le paysage… Acte fort, puissant, exalté, vrai rebelle envers une
autorité et un conservatisme qu’il convient de dépasser pour faire avancer le
monde, un acte marquant car simple et parfaitement visible. Bravo. Quelle
brillant résumé que cette mort du temps et de l’espace, en deux trois pif paf …
Avec le style surtout. Comprendre si bien les choses, à 15ans, parce que 5 heures
de consoles par jour forcément, pour les plus forts, ça pose question. Il y a
le style Virgin Suicide, sinon. On se pend tranquillement entre sœurs (chez
Sophia Coppola) ou entre collégienne (chez nous, là, y a deux mois). Mais
attention au choix de la musique d’ambiance ! Tout est là !
Il ne faudrait pas croire, l’œil rivé sur les images qui bougent, que la
politique, la démocratie et la civilisation sont française. La France, ses
habitants, ont vécu sans pendant des siècles. Cela s’appelle l’obscurantisme,
le fascisme, l’écrasement culturel, l’absence d’avenir et de progrès.
Pourquoi ne pas imaginer le pire : très vite,
maintenant, pour une futile cause technique (une console qui casse ?), la
France pourrait dans un vaste « affrontement entre bandes » devenir un soft
Kosovo, un Rwanda vintage ou une Sierra Leone, au second degré.
Au delà des particularités géographiques, le désir
de mourir. Le diable descendu parmi nous.
Le mal est partout, parce qu’il est une petite partie de nous. Seuls ceux qui n’ont
jamais parlé avec leurs curés, leurs rabbins, leurs imams l’ignorent. L’Asie
cherche l’équilibre des forces à l’intérieur ; l’Occident met la recherche de
l’équilibre en scène (mais pas toujours en public, la confession se faisant
aussi dans l’isoloir). Il diversifie son art, à la folie.
Supprimons la scène en Occident, et alors, la guerre, la violence et la nuit
reviendront tout naturellement.